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La malédiction de l'Île Seguin

À contre-courant des mutations économiques entamées bien avant la crise liée au covid-19, la majorité municipale s'apprête à construire un quartier d'affaires sur l'Ile Seguin avec, comme projet sous-jacent, l'objectif de concentrer l'activité économique de Boulogne-Billancourt dans un seul quartier.


Retrouvez nos propositions pour avancer sur le dossier de l'Ile Seguin en cliquant ici et la tribune de Caroline Pajot parue dans le BBI en cliquant ici.


Voici les extraits de mon livre Pour Boulogne-Billancourt, publié le 20 novembre 2019, qui traitent de l'Ile Seguin :



LA MALÉDICTION DE L'ÎLE SEGUIN

L’Île Seguin a été le plus grand échec de Boulogne-Billancourt au cours des 30 dernières années. Annoncée le soir du 20 novembre 1989, la fermeture des ateliers Renault s’est produite en 1992, année de ma naissance, avec la sortie de la dernière SuperCinq Société. J’ai le souvenir de ces grandes usines délabrées, attendant d’être rasées. Aujourd’hui, l’Île désespère de voir la fin de son chantier et le début d’une nouvelle ère grâce à une reconversion complète. Trop de projets ont été adoptés, budgétisés, contestés pour être finalement annulés. À croire que le renouveau de l’Île Seguin est une histoire sans fin, empreinte de malédiction.

Cette Île a en effet connu des revers de fortune, à l’image d’Armand Seguin, le grand tanneur chassé par Napoléon, et Louis Renault, l’empereur de Billancourt déchu à la Libération. Pourtant, après le départ fracassant de François Pinault et de sa fondation d’art contemporain en 2005, un nouveau projet pour l’Île avait été adopté.

Porté par Jean-Pierre Fourcade et Pierre-Mathieu Duhamel, il visait notamment à édifier un grand campus de l’American University of Paris avec une résidence étudiante.

Ce pôle universitaire d’excellence permettait d’offrir à l’Île Seguin, et donc à la ville de Boulogne-Billancourt, un rayonnement international bâti sur une dualité culturelle et scientifique.

Malgré le dépôt de plusieurs permis de construire et l’imminence de la pose des premières pierres, le projet a été annulé, sans alternative viable, par Pierre- Christophe Baguet. Lors de l’élection municipale de 2008, ma première en tant que militant, j’ai défendu l’idée d’une réduction de l’espace constructible sur l’Île Seguin avec l’objectif de passer de 170 000 m2 à 110 000 m2. Les Boulonnais partageaient ce point inscrit dans le programme électoral du candidat Baguet.

Mais, après avoir annulé le projet porté par l’équipe précédente, le maire Baguet est rapidement revenu sur sa promesse. Il en a présenté un 3 fois supérieur en mètres carrés constructibles, comportant 5 tours de plus de 120 mètres de haut (soit deux fois la Tour TF1) ainsi qu’un intrigant « jardin couvert sous verrière » au pied de ces buildings.

Face à l’exaspération des Boulonnais, 3 nouveaux projets ont été proposés lors d’une votation en novembre 2012. 17 547 Boulonnais en ont choisi un... qui n’a finalement pas été retenu !


LES PROMESSES DES POINTES


Aujourd’hui, seules les extrémités de l’Île Seguin sont une réussite. À la pointe aval, le département des Hauts-de-Seine a confié, en 2016, la réalisation d’une salle de concerts aux architectes associés Shigeru Ban, lauréat du prix Pritzker 2014, et Jean de Gastines.

Ils ont créé la Seine Musicale, ce magnifique ouvrage d’art qui a transformé la perspective du pont de Sèvres. Nouvelle cité de la musique, elle a réussi, en seulement deux ans, à trouver une place au milieu des autres salles de spectacle franciliennes. Les concerts de Bob Dylan, Sting, Natalie Dessay et Ibrahim Maalouf sont, parmi beaucoup d’autres, représentatifs de l’éclectisme musical et du renouveau culturel qu’elle offre à Boulogne-Billancourt.

La dimension internationale de la Seine Musicale dépasse le cadre culturel. Le 12 décembre 2017, l’Île Seguin a reçu le One Planet Summit où se sont réunis plus de 4 000 personnes dont une cinquantaine de chefs d’État. De nouveaux engagements ont été contractés dans le prolongement des accords de Paris sur le climat. Comme un symbole, l’Île Seguin semble définitivement tourner la page de l’ère industrielle grâce à la question environnementale et à la lutte contre le réchauffement climatique.

À la pointe amont, un pôle culturel sera livré en 2023. Imaginé par Laurent Dumas et le groupe Emerige, ce projet comprend une fondation d’art contemporain, un cinéma Pathé, un hôtel, des commerces et des restaurants. La programmation culturelle sera dirigée par Jérôme Sans, co-fondateur du Palais de Tokyo à Paris. L’attrait de ce pôle culturel exige, pour reprendre les mots de François Pinault, « un voisinage de qualité et des accès performants ». Je m’engage à y veiller, pour que l’Île Seguin conjugue, enfin, son rayonnement international fort avec son ambition d’offrir aux Boulonnais un espace de culture, de loisirs, de sports et de détente.

VERS UN IMMENSE GÂCHIS AU COEUR DE L'ÎLE

Le cœur de l’Île Seguin reste vide. Un accord entre élus et associations a dû être négocié devant le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise fin 2018. Il prévoit une surface maximum constructible de 230 000 m2, une tour de 96 mètres de hauteur ainsi que la création d’un parc de 15000m2.

Début 2019, Vincent Bolloré comptait toujours y installer le siège social de son entreprise. Mais le milliardaire a finalement fait marche arrière et demandé à la ville le remboursement des 70 millions d’euros versés. L’histoire se répète.

À la fin de l’été, le journal Le Parisien révélait qu’une nouvelle promesse de vente du cœur de l’Île avait été signée le 12 août avec le consortium Développement Boulogne Seguin (DBS) formé par Hines, Icade et Vinci immobilier. Les promoteurs prévoient d’y construire 123 000 m2 de bureaux – s’ajoutant aux 16 000 m2 prévus en lisière de la fondation Emerige – et 6500 m2 de commerces. L’article nous apprend que les conditions de mise à l’achat imposent aux acquéreurs de déposer un permis de construire avant février 2020. Ils ont donc 6 mois pour proposer un nouvel avenir au cœur de l’Île Seguin ou pour partir. Faut-il craindre que les acquéreurs se rétractent et que le cœur de l’Île Seguin se retrouve, une nouvelle fois, sans destin ? Je ne le crois pas.

L’Île Seguin, avec son attractivité exceptionnelle, est une formidable aubaine pour tout promoteur qui souhaiterait valoriser son talent et profiter d’un rayonnement international à moindres coûts. Or construire des bureaux durables et écoresponsables, DBS sait faire. Leurs réalisations sur l’éco-quartier du Trapèze le prouvent, et le projet envisagé pour le centre de l’Île n’apparaît guère plus exigeant. Il s’agit même d’une réplique du Trapèze allégée des contraintes du logement et de l’organisation des services publics comme les crèches et les écoles. Devons-nous nous contenter d’un destin si commun ? Non. C’est une certitude, le projet envisagé manque cruellement d’ambition pour Boulogne-Billancourt.


CONSTRUIRE 123 000M2 DE BUREAUX AU COEUR DE L'ÎLE SEGUIN EST UN NON-SENS ÉCONOMIQUE

Depuis plus de 40 ans, une logique concurrentielle entre les quartiers d’affaires de l’Ouest Parisien a conduit à une croissance de l’espace de bureaux pour répondre aux besoins d’emploi du secteur tertiaire.

La Défense, Issy-les-Moulineaux et Boulogne-Billancourt ont connu un fort développement économique grâce à l’implantation de grands groupes. Le projet de construction de 123 000 m2 de bureaux sur l’Île Seguin prouve que la municipalité sortante reste attachée à ce raisonnement qui est pourtant à contre-courant des mutations en cours : le besoin des entreprises évolue, notre façon de travailler aussi (Voir chapitre 3, Développer l’attractivité économique de la ville en s’adaptant aux mutations du travail, p. 111.).

Le centre-ville est déjà confronté au problème de bureaux inoccupés, à tel point que les promoteurs immobiliers cherchent à les transformer en habitations. Pour rattraper ses erreurs de gestion depuis 2008, le maire sortant choisit donc la solution la plus simple à très court terme, mais la moins durable et la moins attractive pour Boulogne-Billancourt.

Je propose de repenser le projet au cœur de l’Île pour en faire un authentique pôle culturel de dimension internationale, en substituant au projet de bureaux une Cité du XXe siècle, qui serait la toute première du genre en France. Une Île viable à long terme, y compris sur le plan financier, passe par une ambition renouvelée que je prétends porter avec fierté.

MÊME SI JE GARDE L'ESPOIR QUE LA SUITE DES EXTRAITS DE MON LIVRE INSPIRE LA MAJORITÉ MUNICIPALE ACTUELLE,

RETROUVEZ LES PROPOSITIONS QUE NOUS AVONS FAITES POUR AVANCER SUR LE PROJET SOUMIS À l'ENQUÊTE PUBLIQUE DE L'ÉTÉ 2020 EN CLIQUANT ICI



VALORISER LE PATRIMOINE CULTUREL BOULONNAIS ET CRÉER UNE CITÉ DU XXEME SIÈCLE

Le Musée des années 30, créé à l’initiative du docteur Albert Besançon en 1939, et dont les collections sont aujourd’hui installées dans l’espace Landowski depuis 1998, est un formidable outil de rayonnement culturel pour notre ville.

Le style Art déco rassemble des collectionneurs du monde entier, séduit un large public, comme en témoigne le succès de l’exposition proposée par la Cité de l’architecture et du patrimoine (palais de Chaillot) en 2017. Du mobilier de Ruhlmann aux œuvres de Charlotte Perriand ou de Jean Prouvé, en passant par les œuvres de Paul Jouve, Maurice Denis, ou encore Zadkine, ce sont de grandes figures des arts du XXe siècle qui se dévoilent aux visiteurs.

Qui le sait et le mesure aujourd’hui? Sans conservateur depuis plusieurs mois, sans projet ambitieux, cet équipement culturel majeur est aujourd’hui coupé des réseaux de spécialistes et, plus grave encore, de ses publics, notamment des Boulonnais. Pourtant, la société de l’entre-deux- guerres n’a rien d’inactuel. Bien au contraire, elle fait écho à notre époque. Tout comme nous vivons actuellement une période d’incertitudes faite de bouleversements politiques, sociaux et économiques, que nous ne maîtrisons pas, les années 20 et 30 ont constitué un moment de basculement au cœur du XXe siècle, le passage d’un monde ancien à un nouveau monde aux contours imprécis et aux périls certains. Congés payés, temps des colonies et des expositions universelles, crise économique, mise en cause des démocraties libérales et montée des totalitarismes : les sociétés européennes sont alors en plein doute mais aussi en pleine transformation.

C’est un véritable musée de société sur le XXe siècle qui doit naturellement se construire en complément de la présentation des arts décoratifs et des modes de vie traduisant les innovations et la force créatrice de cette période. Ville de l’automobile, de l’aviation et du cinéma, territoire profondément marqué par les grands aménagements de la période pompidolienne que sont les voies sur berges et les résidences du Pont de Sèvres, Boulogne-Billancourt est fille des transformations du XXe siècle. Alors que l’Île Seguin sera bientôt desservie par la gare du Grand Paris Express, que l’axe de la Seine bénéficie d’équipements culturels de haut niveau dans le cadre du projet du département de la Vallée de la culture, nous devons envisager d’installer une cité du XXe siècle, ce patrimoine désormais commun, intégrant les collections du musée des années 30 dans un propos plus ample. Avec le concours de dispositifs numériques innovants – modèles 3D, espaces immersifs, cabinets de réalité augmentée –, à la manière de l’espace de 10 000 m2 ouvert à Mestre, à 20 minutes de Venise, avec le soutien d’acteurs privés et de fondations bancaires, ce projet pourrait montrer la fabrique de l’innovation au XXe siècle en France et en Europe : d’Étienne-Jules Marey et des frères Lumières à Internet, de l’aventure de Louis Renault au Concorde, des « munitionnettes » aux droits des femmes, de la « grande lueur à l’Est » à la société post-11 septembre 2001. Ouverte au monde, terre d’innovation et d’expérimentation, mieux inscrite dans les réseaux d’éducation et de formation des jeunes publics, notre ville pourrait ainsi jouer pleinement son rôle de porte d’entrée de la capitale en s’inscrivant dans un projet de territoire riche en musées et en institutions culturelles : de la Seine musicale à la cité de la céramique à Sèvres, du musée départemental Albert Kahn au futur musée du Grand Siècle dans la caserne Sully à Saint-Cloud.

On ne peut se résoudre à construire une logique de destination, de nouvelles habitudes de promenade, sans proposer aux Boulonnaises et aux Boulonnais, aux habitants des communes voisines mais aussi aux visiteurs plus lointains qui le souhaitent, des équipements et des services inscrits dans les pratiques de la ville au XXe siècle. L’Île Seguin doit être l’Île des innovations aux portes de Paris.



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